« Ou
sont les poulardes ? J’ai faim ! Où sont les veaux, les rôtis, les
saucisses ? Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu’on ripaille à
plein ventre pour oublier cette injustice ! Y’a pas quelques soissons (1) avec
de la bonne soivre (2) ? Un porcelet ? Une chèvre en rôti ? Quelques
cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouches m’ont mis en appétit !!! »
Pendant que le comte Godefroy de Montmirail (Jean Réno) beugle son menu idéal en tapant sur
la table, son serviteur Jacquouille la Fripouille (Christian Clavier) perce l’opercule de son
yaourt avant de l’engouffrer à la main, s’en barbouillant le visage.
Quelques scènes avant, Jacquouille se servait de la salade avec les mains
avant de recracher le tout.
« Pardonnez ce maroufle, mais il est
si triste d’apprendre qu’un gueux possède Montmirail », justifiait le comte.
S’ensuit les vers d’une chanson où il s’agirait de peler le jonc comme au
bailli du Limousin qui fût apparemment pendu un beau matin. Avec ses tripes.
La fin du repas se termine à « esponger » le sol, car les deux
nigauds ont oublié de fermer des robinets de la salle de bain.
Excusons la conduite de Godefroy et Jacquouille. Au XIIe, d’où ils viennent,
il n’y avait pas encore ce qu’on appelle « les bonnes manières ».
Il faut attendre 1530 et la publication de La
Civilité puérile (De civilitate morum puerilium) d’Érasme, pour que les
bonnes manières à table s’imposent. Ce petit ouvrage rédigé en latin - mais immédiatement traduit en français, allemand, anglais, tchèque, etc. - explique à un
enfant comment bien se comporter au quotidien. Son influence sera profonde sur
les livres de civilité rédigés au cours des siècles à venir.
Le chapitre 4 de La Civilité puérile
est justement consacré au repas.
Porter la main au plat ? C’est « ressembler aux loups ». Ronger les os avec les dents ?
Non, car nous ne sommes pas « des chiens ». Lécher à coup de langue
le sucre au fond du plat ? À proscrire, puisque « c’est agir en chat ». Mâcher la bouche ouverte ? Niet,
on n’est pas « des porcs ». On l’a compris, s’écarter des règles de
tenues édictées par ce bon vieux Érasme, c’est tout de suite se comporter
comme des animaux. Pauvres animaux.
On évite aussi de jeter sous la table les os et les restes afin de ne
pas salir le plancher. Se servir en premier ? C’est montrer sa « gourmandise » et aussi
dangereux. Explication :
« Si l'on
introduit sans méfiance dans sa bouche des aliments trop chauds, on est forcé
de les recracher ou bien de se brûler le gosier, et de toute façon on est
ridicule et pitoyable. »
Enfin, l’ami Érasme, nous donne un petit conseil qui peut s’appliquer également en dehors de la table :
« Si quelqu'un, par ignorance, commet une maladresse, il est mieux de ne pas le remarquer que d'en rire. »
Dans Les Visiteurs, Béatrice Goulard de Montmirail (Valérie Lemercier) n’a
certainement pas lu le bouquin d’Érasme, mais elle suit à la lettre ses règles
de bonne conduite. Lorsque Jacquouille lâche un gros pet sonore à table, et que son mari s’en
offusque, elle répond, comme si de rien n’était :
« Non, je n’ai rien entendu... »
« Non, je n’ai rien entendu... »
Les Visiteurs (1993), de Jean-Marie Poiré, avec Jean Réno, Christian Clavier, Valérie Lemercier, Marie-Anne Chazel
(1) soisson : variété de haricots
(2) soivre : sauce épicée
Et pour lire en entier le fameux chapitre d'Érasme sur comment être irréprochable à table, c'est ici.
Et pour lire en entier le fameux chapitre d'Érasme sur comment être irréprochable à table, c'est ici.
Commentaires
Enregistrer un commentaire