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L’Odeur de la papaye verte : Les beaux restes


Dans le Saïgon du début des années 50, Mùi, une paysanne âgée d’une dizaine année, entre au service d’une famille bourgeoise. La vaste maison s’articule autour d’une petite cour intérieure où pousse en son centre un papayer. 

Ici, le temps n’a pas de prise. Seul le gazouillis des oiseaux et les notes frémissantes d’un luth traditionnel joué par le père composent la bande-son. Toutefois, le hurlement lointain et occasionnel d’une sirène rappelle le contexte troublé de l’époque.

Lors de son premier jour, Mùi observe. À l’aube, elle surprend Ti, la vieille domestique, couper une papaye puis la laver à la main dans un récipient, l’aspergeant délicatement d’eau. À la fenêtre de sa chambre, elle prend de grandes inspirations pour mieux sentir les parfums moites des plantes.
Elle regarde d’un air amusé la sève blanche couler de la tige coupée du papayer et formant sur la feuille une grosse goutte blanche et luisante, à l’érotisme entendu.



Ti apprend à la jeune fille comment préparer le repas pour ses employeurs. La scène se passe à l’extérieur, sous un auvent, où sont rassemblés dans un coin tous les ustensiles de cuisine. Dans un wok posé sur des braises, elle jette une poignée de liserons d’eau. 


Elle les remue du bout des baguettes, d’un geste sûr, tout en prodiguant à l’enfant quelques conseils sur ce légume :

« Faut le brûler, ça parfume. Faut pas trop cuire, ça le ramollit. »

S’ensuit la cuisson de lambeaux de viande, crissant au fond du wok en métal noirci par des années d’utilisation. Quelques gouttes de nuoc-mâm, versées d’une bouteille en verre, viennent parfaire le tout. Les bols et les assiettes sont placés sur un plateau et Mùi s’en va effectuer le service avant de revenir manger sa maigre part laissée de coté.


Durant ce cours de cuisine improvisé, Ti précise qu’il faut faire revenir les légumes bouillies dans de la graisse. C’est plus beau, explique-t-elle. Toutefois, ce raffinement reste le luxe des patrons, précise la vieille femme :

« Nous, beau ou pas, ça va dans le ventre »

La leçon s’achève donc par une assertion bien triste : la nourriture demeure pour les pauvres gens avant tout quelque chose de fonctionnel.

L'Odeur de la papaye verte (1993), de Tran Anh Hung, avec Tran Nu Yen-Khe, Lu Man San, Truong Thi Loc.

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