Baie
de la Slack, nord de la France, été 1910. Trois catégories de personnages : une
riche famille bourgeoise de Roubaix en villégiature ; deux flics locaux
enquêtant sur des disparitions mystérieuses de promeneurs dans les dunes ;
une famille de pauvres pécheurs dont le père et le fils font traverser la
rivière aux estivants. Le réalisateur Bruno Dumont va touiller tout ça pour
créer une émulsion dingue, aussi burlesque qu’absurde.
Comme dans chacun de ses films, Bruno Dumont s’intéresse au corps. Ici, ils sont particulièrement contrariés : le corps bossu de Fabrice Luchini à la démarche de guingois ; celui surdimensionné de l’inspecteur qui préfère descendre une dune en se roulant dans le sable plutôt que d’avancer pas à pas ; le corps trop étroit d’une jeune fille qui se déguise parfois en garçon – ou serait-ce l’inverse ?
Ces corps trop habillés ou entièrement dénudés se vident fréquemment de leurs surplus : larmes, urines, rots, crachats de salive ou de nourriture. Ils sont souvent trop lourds. L’inspecteur finit régulièrement par terre (volontairement ou non) et le personnage de Valéria Bruni Tedeschi ne peut pas épousseter le lustre sans tomber de son tabouret. Mais l’un et l’autre finiront par s’envoler. Littéralement.
Et puis, les corps sont mangés. Pour mettre un peu de beurre dans leurs épinards, la famille de pauvres s’adonne discrètement au cannibalisme. Ils n’ont heureusement pas l’apanage de la transgression ultime, puisque la famille de rupins est percluse de tares pour cause de consanguinité assumée.
Les scènes d’anthropophagie sont discrètes. Au détour d’une séquence, on voit la fratrie se chamailler des morceaux rougeâtres dans une bassine. Il n’y a plus de doute possible sur la nature de la viande lorsque la mère leur propose un pied, le pouce, un bout de caco (orteil, en ch’ti) ou un morceau de cervelle.
De leur côté, les bourgeois passent à table. Mais le corps déréglé de Luchini n’arrive pas à couper le gigot, provoquant l’agacement de sa sœur et l’embarrât de sa femme. Il insiste. Un morceau de bidoche finit par valdinguer à travers la pièce. Ce qui entraîne l’hilarité immédiate des deux filles.
« On ne rit pas de la nourriture ! », s’énerve la mère.
A-t-elle bien compris que les filles se moquaient de leur père ? De toute façon, en ce bel été 1910, dans la baie de la Slack, il n’y a pas de différence entre un gigot et un bourgeois dégénéré : les deux se mangent.
Ma Loute (2016), réalisation de Bruno Dumont, avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi, Raph
Comme dans chacun de ses films, Bruno Dumont s’intéresse au corps. Ici, ils sont particulièrement contrariés : le corps bossu de Fabrice Luchini à la démarche de guingois ; celui surdimensionné de l’inspecteur qui préfère descendre une dune en se roulant dans le sable plutôt que d’avancer pas à pas ; le corps trop étroit d’une jeune fille qui se déguise parfois en garçon – ou serait-ce l’inverse ?
Ces corps trop habillés ou entièrement dénudés se vident fréquemment de leurs surplus : larmes, urines, rots, crachats de salive ou de nourriture. Ils sont souvent trop lourds. L’inspecteur finit régulièrement par terre (volontairement ou non) et le personnage de Valéria Bruni Tedeschi ne peut pas épousseter le lustre sans tomber de son tabouret. Mais l’un et l’autre finiront par s’envoler. Littéralement.
Et puis, les corps sont mangés. Pour mettre un peu de beurre dans leurs épinards, la famille de pauvres s’adonne discrètement au cannibalisme. Ils n’ont heureusement pas l’apanage de la transgression ultime, puisque la famille de rupins est percluse de tares pour cause de consanguinité assumée.
Les scènes d’anthropophagie sont discrètes. Au détour d’une séquence, on voit la fratrie se chamailler des morceaux rougeâtres dans une bassine. Il n’y a plus de doute possible sur la nature de la viande lorsque la mère leur propose un pied, le pouce, un bout de caco (orteil, en ch’ti) ou un morceau de cervelle.
De leur côté, les bourgeois passent à table. Mais le corps déréglé de Luchini n’arrive pas à couper le gigot, provoquant l’agacement de sa sœur et l’embarrât de sa femme. Il insiste. Un morceau de bidoche finit par valdinguer à travers la pièce. Ce qui entraîne l’hilarité immédiate des deux filles.
« On ne rit pas de la nourriture ! », s’énerve la mère.
A-t-elle bien compris que les filles se moquaient de leur père ? De toute façon, en ce bel été 1910, dans la baie de la Slack, il n’y a pas de différence entre un gigot et un bourgeois dégénéré : les deux se mangent.
Ma Loute (2016), réalisation de Bruno Dumont, avec Fabrice Luchini, Juliette Binoche, Valeria Bruni Tedeschi, Raph
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