Accéder au contenu principal

Muriel : le repas comme masque

C'est Sabine Azéma, sa dernière compagne, qui nous confie(1) les rapports particuliers d'Alain Resnais avec la table : "Je n'ai pas de convives plus gourmands et affamés que lui ! Il apprécie les plats, il aime qu'il y ait des convives et qu'on soit peu. A une grande table on ne l'entendra plus. Deux invités, pas plus, dans l'idéal. Le mieux : une personne ou un couple, parce qu'il préfère voir les gens un par un pour profiter de la personne."

Resnais appartient donc, tout comme ses collègues de la Nouvelle Vague Rohmer et Chabrol, à la famille des cinéastes de la fourchette.

Et cela se voit dans ses films.

Prenons Muriel, ou le temps d'un retour. De nombreux plans mettent en scène le repas, en intérieur ou au restaurant.

15e minutes du film. Nous avons autour de la table : une femme et un homme qui furent amants il y a 20 ans avant de se perdre de vue; une jeune fille que l'homme fait passer pour sa nièce alors qu'elle est clairement sa maitresse ; et un jeune homme de retour de la guerre d'Algérie et ployant sous le poids d'un lourd secret.  


A priori, ces personnages auraient des choses importantes à (se) dire. Pourtant les banalités d'usage s'enchaînent :

" Moi qui aime tellement le cristal ! "
" J'ai acheté du poulet chasseur avec une sauce très légère et des champignons "
" Vous n'avez pas repris de fenouil ni de choux rouge, réclamez ! "
" Vous êtes bien fourni ici ?
- Oh j'ai toujours les mêmes fournisseurs "
" Je n'aime pas le poulet, je vais me faire cuire des œufs"
 " Ça aurait été plus simple de dîner au restaurant"

La table est la scène où l'on joue un rôle. Quand, dans la cuisine, la femme remplie le baba au rhum de crème que lui tient l'homme, il n'arrivent à s'échanger un mot. Elle le dépose sur la table. Mais au plan suivant, le baba au rhum posé sur la table est presque terminé. Un faux raccord volontaire qui souligne que, sous le verni des politesses et derrière les sourires, le malaise persiste.




Mais, dans Muriel, la table est aussi le moment de vérité. C'est au cours d'un repas, en toute fin du film, que la vérité éclate et que l'ancien amant est mis face à ses mensonges !

Muriel ou le temps d'un retour (1963), d'Alain Resnais, avec Delphine Seyrig.


(1) Alain Resnais, de Jean-Luc Douin, édition de la Martinière, p.249


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Les meilleures répliques de films sur la bouffe (1)

« Moralité, je me suis bourré de pistaches comme un con »  Jean-Pierre Bacri, Cuisine et dépendances « Comment est votre blanquette ? »  Jean Dujardin, OSS 117 : Le Caire, nid d’espions « Ça doit être les moules qui sont avariées » , Benoit Poelvoorde, C’est arrivé près de chez vous « Spartiates ! Mangez vos victuailles avec appétit... car nous dînerons en enfer ce soir ! » Léonidas, 300 « Tu es bella comme la papaya »  Stuart, Les Mignons « Dis, on t’as jamais appris à manger avec la bouche fermée toi ? C’est à toi qu’je cause hein ! J’ai l’impression d’être à côté d’un camion poubelle qui travaille moi, ici ! Conasse va ! » François Damiens, Dikkenek « Laisse le flingue, prends les cannelloni »  Peter Clemenza, Le Parrain « Il doit y avoir une erreur, vous m’avez donné accidentellement la nourriture que ma n...

Les Visiteurs : l’art de (pas) bien se tenir à table

« Ou sont les poulardes ? J’ai faim ! Où sont les veaux, les rôtis, les saucisses ? Où sont les fèves, les pâtés de cerf ? Qu’on ripaille à plein ventre pour oublier cette injustice ! Y’a pas quelques soissons  (1)  avec de la bonne soivre (2) ? Un porcelet ? Une chèvre en rôti ? Quelques cygnes blancs bien poivrés ? Ces amuse-bouches m’ont mis en appétit !!! » Pendant que le comte Godefroy de Montmirail (Jean Réno) beugle son menu idéal en tapant sur la table, son serviteur Jacquouille la Fripouille (Christian Clavier) perce l’opercule de son yaourt avant de l’engouffrer à la main, s’en barbouillant le visage.  Quelques scènes avant, Jacquouille se servait de la salade avec les mains avant de recracher le tout. « Pardonnez ce maroufle, mais il est si triste d’apprendre qu’un gueux possède Montmirail » , justifiait le comte.     S’ensuit les ver...

Le Voyage de Chihiro : la nourriture à tous les étages

La nourriture est indissociable des films du studio Ghibli, tant et si bien qu'en 2017 naissait sur Instagram le hashtag #GhibliFood.  Petite revue des nombreuses fonctions de la bouffe dans Le Voyage de Chihiro .   - Un péché d'orgueil Dans cette ville à l'abandon, les parents de Chihiro découvrent un stand richement garni de mets délicieux. Ils s'empressent de s'assoir et de se baffrer. La fillette est mal à l'aise et s'inquiète de ce que diront les gens du parc. "J'ai ma carte de crédit" répond le père. Les parents représentent un Japon moderne, consumériste, faisant peu de cas d'autrui. Leur orgueil (et gourmandise) sera puni puisqu'ils seront transformés en gros cochons.     - Un antidote Lorsque la nuit tombe sur le parc, Chihiro commence à disparaitre. Haku lui donne une baie à manger afin qu'elle ne se transforme pas en cochon.     - Un moyen d'échange Face au refus de Lin de s'occuper de Chihiro, le viellard-araig...